"Un bon manager déteste qu’on lui dise ce qu’il doit faire"

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  • Date: mar. 0
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Lorsque, après avoir passé vingt-six ans chez Unilever, Robert Polet a pris en 2004 la direction de Gucci Group, le pôle luxe de PPR, personne n’au­rait parié très cher sur sa réussite.

Moins de six ans plus tard, la rentabilité opérationnelle de Gucci Group a plus que doublé, passant de 300 millions d'euros en 2004 à 692 millions en 2009. Pour y parvenir, Robert Polet, P-DG de Gucci Group, a décentralisé les circuits de décision. Objectifs : donner plus d'autonomie à chaque marque et libérer la créativité de ses équipes.

Management : Vous avez effectué une grande partie de votre carrière chez Unilever. Dirige-t-on de la même manière une multinationale de produits de grande consommation et un groupe de luxe ?
Robert Polet : Contrairement à ce qu'on peut imaginer, le travail est identique à 80%. J'ai trois grandes fonctions : diriger les gens – ou plutôt les coacher, car je crois que personne n'aime être "dirigé" –, gérer des marques et manager la créativité. C'est ce troisième point qui fait la différence entre les deux univers. Un créatif doit devancer les désirs, inventer des produits dont personne n'a jamais eu l'idée, mais dont tout le monde dit en les voyant : "C'est exactement ce que je cherchais." Bref, la créativité est une qualité éminemment personnelle, qu'on ne peut diriger sous peine de l'étouffer. Mon rôle consiste à bâtir un environnement favorable pour qu'elle s'épanouisse. Cela suppose que les équipes aient confiance en elles et puissent suivre leurs intuitions. Et aussi, toute marque ayant son style propre, qu'on attribue à chacune une équipe dédiée. C'est pour cette raison, d'ailleurs, que je suis optimiste quant à l'avenir de la maison Alexander McQueen : cette marque a aujourd'hui une consistance suffisamment forte pour survivre à la tragique disparition de son créateur.

Management : En six ans, vous avez complètement changé l'organisation de votre entreprise. Quel est votre fil directeur ?
Robert Polet : Je ne crois pas à un mode de gestion centralisé. Mon maître mot, c'est la liberté. A mon arrivée, j'ai passé huit semaines à visiter les magasins et les ateliers, et j'ai rencontré près de 2.500 personnes. Ce qui m'a frappé, c'est l'esprit d'entreprise à tous les niveaux. Quand on a la chance d'avoir affaire à des salariés qui ont l'esprit de l'entreprise, il faut juste leur donner une direction générale. Les bons mana­gers détestent qu'on leur dise ce qu'ils ont à faire. Ils ne don­neront le meilleur d'eux-mêmes que s'ils bénéficient d'un maximum de liberté. Chaque mar­que est donc dirigée par un binôme composé d'un P-DG et d'un directeur de création qui doivent élaborer ensemble un business plan sur trois ans. Lorsque l'on sait où l'on veut être dans trois ans, c'est beaucoup plus facile d'agir au quotidien. Je fixe le cadre, mais chaque entité est ensuite responsable de sa création, de son organisation et de son cash-flow.

Management : Vous arrive-t-il néanmoins de conseiller vos managers au jour le jour dans leurs décisions ?
Robert Polet : Le moins possible. Pour réussir, il faut savoir prendre des risques. J'estime que, s'ils sont convaincus de quelque chose, ils doivent suivre leur inspiration. Quitte à se tromper. C'est de ses erreurs qu'on apprend le plus. Il faudrait d'ailleurs davantage les célébrer, tant leur nombre est en corrélation directe avec les initiatives que l'on a prises. J'ai moi-même commis un grand nombre d'erreurs au cours de ma carrière. C'est ainsi que l'on avance. Cela dit, je demeure très impliqué sur le fond du business, pour toutes les décisions touchant au positionnement d'une marque, par exemple. Ou pour celles qui ont une conséquence directe sur les finances du groupe, comme les ouvertures ou les fermetures de boutiques. Pour le reste, je laisse faire.

Management : Sur quels critères vous appuyez-vous pour sélectionner les personnes que vous recrutez ?
Robert Polet : Mon objectif est de trouver la personnalité qui entrera le mieux en symbiose avec le directeur artistique de chaque marque. Pour choisir, je fais largement confiance à mon feeling. Mais je m'appuie aussi sur trois critères plus objectifs : les qualités de leadership du candidat, ses compétences techniques (c'est le point le plus facile à évaluer) et surtout la confiance que je peux avoir en lui. Juger une personne, c'est une affaire de cœur autant que de cerveau !

Management : Votre secteur est touché de plein fouet par la crise. Comment parvient-on à vendre du luxe dans un tel contexte ?
Robert Polet : Dès que nous avons vu le marché s'effondrer aux Etats-Unis en 2008, nous avons décidé de concentrer toute notre attention sur le cash- flow, en nous fixant le mot d'ordre suivant : faire plus avec moins. Très vite, j'ai pu expérimenter la validité du modèle d'organisation décentralisé que nous avions mis en place. Chacune des huit marques a imaginé sa stratégie propre face à la crise, avec comme dénominateur commun le maintien de la qualité. Yves Saint Laurent a réduit la taille de ses collections tout en accentuant le chic français qui fait son ADN. D'autres marques ont développé des produits avec de nouvelles matières ou des lignes vintage en utilisant des stocks de tissu ou le reste d'autres collections. Finalement, avoir moins de moyens, ça rend créatif.

Management : Comment analysez-vous le comportement des clients aujourd'hui ?
Robert Polet : Ils sont revenus à une attitude normale ! Au­jourd'hui, les consommateurs se montrent moins sensibles à l'effet de mode et plus attentifs à la qualité, au savoir-faire et au côté intemporel de la marque. Ils sont moins impulsifs, posent des questions, s'intéressent à la manière dont un sac a été fabriqué, à son histoire. Ils réfléchissent, et finalement… reviennent acheter. Dans ce contexte incertain, les labels les rassurent.

Management : Vous avez sévèrement réduit vos budgets de communication. Sans publicité, comment s'y prend-on pour continuer à rendre un produit désirable ?
Robert Polet : Avant tout, c'est le design qui donne envie d'acheter un produit. Et puis il n'est pas vrai que l'on communique moins. Les ouvertures de boutiques (25 pour la seule marque Gucci et 49 pour l'ensemble du groupe en 2009) ont par exemple donné lieu à des campagnes d'image de grande envergure. Nous avons surtout changé nos modes d'expression et notamment intensifié notre présence sur Internet tout en développant la technologie mobile. Sur Facebook, près de 600.000 fans suivent la marque Gucci. Quant au site Web de la griffe aux Etats-Unis, son chiffre d'affaires le classe aujourd'hui comme le dixième magasin du groupe dans le monde.

Propos recueillis par Aude-Claire de Parcevaux

Source: capital.fr



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