"Bien diriger les talents, c’est savoir les bousculer"

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  • Date: mar. 0
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Le DG de Publicis Worldwide, Arthur Sadoun, revient sur les effets
 de la crise, le succès de ses dernières campagnes et la gestion des hauts potentiels.

Repliant son mètre quatre-vingt-dix-sept, Arthur Sadoun, le DG de Publicis Worldwide, s’installe dans un fauteuil d’un des salons privés de l’immeuble Publicis qui donne sur l’Arc de triomphe. Il revient de New York, et son timing est serré, comme d’habitude. «Mais je suis disponible», précise-t-il. A 40 ans, celui que l’on considère souvent comme le protégé de Maurice Lévy, le légendaire président du groupe Publicis – il sort justement d’une «réunion avec Maurice» –, chapeaute 9.000 salariés dans 82 pays. Depuis avril dernier, il
est le DG du plus important réseau au sein du numéro 3 mondial de la publicité. Et cet excellent commercial, qui n’hésite pas à mettre la pression sur ses équipes, vient encore d’ajouter Coca-Cola, Carrefour et Nissan aux prestigieux budgets qu’il détenait déjà (L’Oréal, Renault, Axa…). Mais son ascension éclair, de Santiago du Chili à Paris, et ses succès n’ont pas altéré son discours. Le client d’abord. Et des publicités ancrées dans le quotidien.

Management : La crise a-t-elle déjà un impact sur vos clients, et donc sur le secteur de la pub ?
Arthur Sadoun : Elle va évidemment avoir un impact sur la consommation. Mais c’est notre façon de réagir qui importe. Dans une agence de publicité, il faut préserver les emplois, qui sont notre force. Nous avons déjà levé le pied sur les embauches et diminué les prestations externes. Mais nous recrutons aussi des talents quand il le faut et nous cherchons les moyens de générer de la croissance malgré le contexte. Nous avons recontacté nos clients dès la mi-août – personnellement, j’ai écourté mes vacances – pour les conseiller. La plupart sont sereins parce qu’ils ont appris des crises précédentes : ils savent qu’arrêter d’investir en communication peut très vite leur faire perdre les parts de marché qu’ils ont mis des années à consolider et qu’ils peuvent au contraire en profiter pour prendre le leadership dans leur catégorie. Quant aux ménages, ils ne consomment pas moins en temps de crise, mais ils font des arbitrages entre les marques qui comptent et les autres. Notre métier, c’est justement de définir le rôle de ces dernières dans la vie des gens, pour qu’elles continuent d’être choisies dans la tempête.

Management : Vos idées créatives sont-elles toujours capables de faire des miracles ?
Arthur Sadoun : Pour qu’une pub fonctionne, il faut que la marque soit puissante et qu’elle apporte un «plus» aux consommateurs. Prenez notre dernier spot pour la Renault Mégane, dans laquelle le conducteur parle avec un faux accent allemand. C’est une prise de judo très osée, qui répond à la campagne d’Opel et qui permet à Renault de s’attribuer la qualité allemande tout en gardant ses valeurs françaises. Mais si on a pu aller aussi loin, c’est parce que le constructeur a énormément travaillé sur la qualité ces dernières années. L’idée est encore plus vraie dans les services, car le message publicitaire engage toute l’entreprise. Par exemple, la campagne avec les jockeys déjantés du PMU : mettre en avant l’hippisme, censé être un handicap pour s’imposer dans le domaine des paris sportifs en ligne, il fallait le faire ! C’est ce concept audacieux, justement, qui a rendu la marque identifiable et très attachante. Mais cela n’a été possible que parce que la culture interne de cette entreprise reste celle du cheval.

Management : Comment gérez-vous votre écurie de talents ?
Arthur Sadoun : Dans les métiers créatifs, il ne faut pas avoir peur de créer de la confrontation et de l’inconfort, en faisant travailler des gens pas forcément compatibles, en fixant des enjeux et des délais peut-être intenables ou en faisant bouger les gens régulièrement. Les talents doivent garder leur nervosité – au sens d’excitation – et se lever le matin en se demandant comment ils vont y arriver. Ce que je recherche avant tout, ce sont des «liquid talents», des profils qui savent s’adapter aux contraintes de création, à la crise, à l’essor du numérique, etc.